Revue Nègre

Théâtre des Champs-Elysées,

Paris 1925

 

Édouard Goerg, La Revue Nègre, 1925-1926, eau-forte.

Dans le Paris des années folles, l’esthétique nègre est désormais à la mode. En 1925 est organisée la première exposition d’art nègre, un art qui va influencer considérablement les Fauves et les Cubistes. Sur les conseils de Fernand Léger, André Daven, administrateur du Théâtre des Champs-Élysées, décide de monter un spectacle entièrement exécuté par des Noirs. Il charge l’Américaine Caroline Dudley, femme d’un fonctionnaire américain du Département d’Etat sur le point d’être muté à l’Ambassade des Etats-Unis à Paris, de constituer la troupe à New York : vingt-cinq artistes dont douze musiciens. C’est ainsi qu'elle se souvint de Joséphine Baker qu'elle avait vue danser au club new-yorkais La Plantation, en bout de la « chorus-line ». Caroline Dudley dira : « Elle s’en détachait comme un point d’excla­mation ! ».

Photo parue dans le magazine mensuel Dansons, décembre 1925.

Partie de New York le 21 septembre, à bord du Berengaria, la troupe débarqua à Cherbourg le 26 septembre

et arriva à Paris le même jour (ci-dessus).

 

Ci-dessus, à droite : affiche de Paul Colin, 1925, imp. H. Chachoin, Paris.

Création ou plagiat ?

« Colin a probablement vu les esquisses de Covarrubias et se les a appropriées. On peut d’ailleurs affirmer que Covarrubias a bien peint en 1924 le personnage féminin de l’affiche signée Paul Colin. La fille que tout le monde avait toujours prise pour Josephine, que Paul Colin avait déclaré avoir dessinée d’après nature, avait en réalité été peinte par Covarrubias avant que Colin n’ait rencontré Josephine.

La paternité de l’affiche de la Revue Nègre revient donc à Miguel Covarrubias qui n’en tira aucune notoriété, alors que pour Paul Colin cette affiche fut le meilleur support publicitaire et le plus beau tremplin. On lui commanderait par la suite des illustrations et des décors. Il deviendrait par la suite un des affichistes publicitaires attitrés des spectacles, comme Cassandre et Loupot le seraient pour le tourisme. »

Kevin Labiausse

Le programme

• Troupe : Maud de Forest, qui en est la vedette ; huit chorus girls ; Louis Douglas (déjà réputé en France), Joe Alex et Honey Boy, qui chantent et dansent quelques parties solistes. Parmi les girls, Joséphine Baker et Marion Cook, chacune dotée d’un duo dès avant les réajustements parisiens. 

• Chansons et thèmes musicaux : Spencer Williams

• Costumes : Susan Smith, assistée des sœurs de Caroline Dudley.

• Décors : Miguel Covarrubias, assisté des sœurs de Caroline Dudley.

• Orchestre composé d’un pianiste (Claude Hopkins), d’un batteur (Percy Johnson), d’un tromboniste (Daniel Day), d’un saxophoniste (Joe Hayman), d’un clarinettiste (Sidney Bechet) et d’un tubiste (Bass Hill). Il est dirigé par Claude Hopkins.

Sidney Bechet

A gauche : Maud de Forest, la vedette de la revue.

Ci-dessous : Marie Woods, une des danseuses.

Louis Douglas (1889-1939) était le danseur « vedette » de la troupe.

Dansons, décembre 1925.

« Chez Joséphine Baker, tout est d’une mobilité déconcertante : les bras, les jambes, le ventre, le nez, les yeux, tout est en mouvement de la façon la plus cocasse et la plus inattendue. »

La Liberté, 4 octobre 1925

Pierre de Régnier :

« C'est alors qu'entre en scène, très vite, un personnage étrange, qui marche les genoux pliés, vêtu d'un caleçon en guenilles, et qui tient du kangourou boxeur, du sen-sen-gum, et du coureur cycliste...

» Joséphine Baker...

» Est-ce un homme ?... Est-ce une femme ?... Ses lèvres sont peintes en noir, sa peau est couleur de banane, ses cheveux déjà courts sont collés sur sa tête comme si elle était coiffée de caviar, sa voix est suraiguë, elle est agitée d'un perpétuel tremblement, son corps se tortille comme celui d'un serpent ou, plus exactement, il semble être un saxophone en mouvement, et les sons de l'orchestre ont l'air de sortir d'elle-même ; elle est grimaçante cl contusionnée ; elle louche, elle gonfle ses joues, se désarticule, fait le grand écart, et finalement part à quatre pattes avec les jambes raides et le derrière plus haut que la tête, comme une girafe en bas âge.

» Est-elle horrible, est-elle ravissante, est-elle nègre, est-elle blanche, a-t-elle des cheveux ou a-t-elle le crâne peint en noir, personne ne le sait, on n'a pas le temps de savoir. Elle revient comme elle s'en va, vite comme un air de one-step ; ce n'est pas une femme, ce n'est pas une danseuse, c'est quelque chose d'extravagant et de fugitif comme la musique, l'ectoplasme, si l'on peu! dire, de tous les sons que l'on entend... »

J. B. subit de violentes critiques à son apparition dans la Revue Nègre, certaines même empreintes de racisme… Ainsi le dramaturge et académicien Robert de Flers, critique au Figaro, qui assista à la première du spectacle, écrivit-il que le spectacle était « un lamentable exhibitionnisme transatlantique qui semble nous faire remonter au singe en moins de temps que nous n’avons mis à en descendre ». D'après Paris-Soir (26 novembre 1926), cet homme « dont on connaît l'affection… paternelle pour les spectacles de tout repos, a jailli de son fauteuil en apercevant Joséphine Baker, et s'en est allé chez son confesseur réclamer l'absolution. »

Paul Colin, dans La Croûte (La Table Ronde, 1957) :

« Vêtue de guenillzs, elle tenait du kangourou boxeur, de la femme caoutchouc et de la femelle de Tarzan. Elle se contorsionnait, louchait, se secouait, gonflait ses joues et traversait la scène à quatre pattes, son derrière mobile devenant le centre mouvant de ses extravagantes évolutions. Puis, nue, les reins ceinturés de plumes vertes, le craâne laqué de noir, elle soulevait les colères et les enthousiasmes. Le frémissement de son ventre et de ses cuisses semblait un appel à la lubricité, au retour magique des mœurs des premiers âges.

Je la revois frénétique, onduleuse, mue par les sons exaspérés des saxophones. Ses danses de la Caroline du Sud annonçaient-elles l'ère d'une nouvelle civilisation, débarrassée, enfin, d'entraves millénaires ? »

Vogue, décembre 1925

En 1926, Joséphine Baker et la troupe de la Revue Nègre sont présentées au public parisien. Phot. Bill Ullstein.

Le Gaulois, 6 octobre 1925

La Revue Nègre se produisit au Théâtre de L'Etoile en novembre 1925. Puis elle joua à Bruxelles et à Berlin. Sa tournée se termina fin février 1926.

Affiche de Paul Colin.

Affiche lithographiée Josephine Au Bal Nègre, par Caron d'après Paul Colin, 1950, imp. Ducelier,

Magazine Fantasio, A. Dupin, 1927/

A lire …

 

Le magazine Dansons de décembre 1925, où il est question de la Revue Nègre et du charleston :

http://mediatheque.cnd.fr/ressources/ressourcesEnLigne/dansons/DAN_25_66.pdf

 

• Article du Musée des Arts Décoratifs, Paris : 

https://madparis.fr/archives/fr/03museepublicite/expositions/reclame_publicite/Revue_Negre.htm#

 

• Olivier Roueff, Politiques d’une « culture nègre ». La Revue Nègre (1925) comme événement publicAnthropologie et Sociétés, « La mise en public de la culture » (dossier coordonné par Bob White), vol. 30, n°2, 2006, pp. 65-85

https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01175998/document

 

Jacques-Émile Blanche, Propos de peintre : de Gauguin à la Revue nègre. 3e série Gauguin, Monet, Sargent, Helleu, Van Gogh, la peinture anglaise moderne, Dada, la Revue nègre, Paris, 1928, pp 209-226.

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k74548r/f214.item

 

A écouter…

 

• Grands reportages : Joséphine Baker évoque la revue nègre, 30 novembre ?, 7 min 43 s

https://www.ina.fr/audio/PHD86038310/grands-reportages-josephine-baker-evoque-la-revue-negre-audio.html#xtor=AL-3

 

• La Revue Nègre avec Joséphine Baker et Sidney Bechet, Le matin des musiciens,  23 septembre 1987, 4 min 44s

https://www.ina.fr/audio/P13072648/la-revue-negre-avec-josephine-baker-et-sidney-bechet-audio.html#xtor=AL-3

 

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